Je me souviens de la splendeur de ces après-midi
où tu étais le dieu et l’offrande
m’accordant le don des rondeurs de ton corps
tant les calebasses au bas de ton dos cambré comme un arc bandé
tant les mangues floridiennes dressées au promontoire de ta poitrine
que la cabosse satinée de tes épaules dénudées
Étanchement de la soif de mes yeux
Apaisement de la faim de mes mains
– pourquoi les miennes seules, Ezili-Karata,
pourquoi avoir fait de moi ton amant aux mains pleines ?
Splendeur de ces après-midi où le monde vaque à sa vanité
ignorant que ta chambre se fait temple et que deux serpents enlacés
y sifflent à l’unisson la renaissance de cosmogonies effacées
renversement de l’ordonnancement ordinaire
rêvé lent d’abolition des soumissions et des hiérarchies
où femme faite loa tu fais loi de mon chevauchement
et où homme je me cabre cravaché par le balancé de ton bassin
ton Œil luit béant au milieu de ta pyramide inversée
ici nul ne pénètre, c’est toi qui introduis celui que tu inities
à la profondeur palpitante des mystères de ton péristyle
Je me souviens de la vivante beauté de ton corps, Ezili-Karata
et de celui-ci l’exacte température qui m’apportait la chaleur
manquant à cet exil frigide dans lequel je me noyais
et que toi tu nommais envol en éclaboussant l’hiver de ta joie sonore
Je me souviens de la buée s’échappant de ta bouche sur le quai de cette gare
enneigée
et que j’ai bue comme un condamné
– quand on aime et que l’on reste à quai,
on ne fait pas confiance aux trains qui partent –
Je me souviens du grain de ta peau sous les caresses de mes mains
des différentes teintes cannelle, vanille, sapotille et rose goyave de ta chair-piment
des mornes et des fonds de ta nudité quand j’en arpentais toute l’étendue
Je me souviens ce que tu murmurais à mon oreille
me disant que je t’appartenais et que tu m’attendrais que la rareté contrainte de nos étreintes
n’était qu’un avant-goût de longs lendemains
– bien heureux que ta bouche ait été celle du cabri –
Je me souviens que nous étouffions nos gémissements de nos mains
parce que les murs étaient trop fins pour l’infini de notre faim
nos dents jusqu’à s’entrechoquer, nos corps cognant le léwoz de notre insurrection
– Manifeste, deux personnes ici s’aiment d’amour radical
Manifeste, rien ni personne ne les y fera renoncer –
Je me souviens du son de mon prénom
quand tu t’amusais à le prononcer
en passant le plat de ta main sur mon visage
la façon dont tu disais ce mot seul
faisait un poème dans le sourire de tes yeux
Je me souviens
T’en souviens-tu
Ezili-Karata ?
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