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Photo du rédacteurCretté Alexandra

Je me souviens - un poème de Paul-Emma Moÿse, une illustration de Flore Vaillant


Je me souviens de la splendeur de ces après-midi

où tu étais le dieu et l’offrande

m’accordant le don des rondeurs de ton corps

tant les calebasses au bas de ton dos cambré comme un arc bandé

tant les mangues floridiennes dressées au promontoire de ta poitrine

que la cabosse satinée de tes épaules dénudées

Étanchement de la soif de mes yeux

Apaisement de la faim de mes mains

– pourquoi les miennes seules, Ezili-Karata,

pourquoi avoir fait de moi ton amant aux mains pleines ?


Splendeur de ces après-midi où le monde vaque à sa vanité

ignorant que ta chambre se fait temple et que deux serpents enlacés

y sifflent à l’unisson la renaissance de cosmogonies effacées

renversement de l’ordonnancement ordinaire

rêvé lent d’abolition des soumissions et des hiérarchies

où femme faite loa tu fais loi de mon chevauchement

et où homme je me cabre cravaché par le balancé de ton bassin

ton Œil luit béant au milieu de ta pyramide inversée

ici nul ne pénètre, c’est toi qui introduis celui que tu inities

à la profondeur palpitante des mystères de ton péristyle


Je me souviens de la vivante beauté de ton corps, Ezili-Karata

et de celui-ci l’exacte température qui m’apportait la chaleur

manquant à cet exil frigide dans lequel je me noyais

et que toi tu nommais envol en éclaboussant l’hiver de ta joie sonore

Je me souviens de la buée s’échappant de ta bouche sur le quai de cette gare

enneigée

et que j’ai bue comme un condamné


– quand on aime et que l’on reste à quai,

on ne fait pas confiance aux trains qui partent –

Je me souviens du grain de ta peau sous les caresses de mes mains

des différentes teintes cannelle, vanille, sapotille et rose goyave de ta chair-piment

des mornes et des fonds de ta nudité quand j’en arpentais toute l’étendue



Je me souviens ce que tu murmurais à mon oreille

me disant que je t’appartenais et que tu m’attendrais que la rareté contrainte de nos étreintes

n’était qu’un avant-goût de longs lendemains

– bien heureux que ta bouche ait été celle du cabri –

Je me souviens que nous étouffions nos gémissements de nos mains

parce que les murs étaient trop fins pour l’infini de notre faim

nos dents jusqu’à s’entrechoquer, nos corps cognant le léwoz de notre insurrection

– Manifeste, deux personnes ici s’aiment d’amour radical

Manifeste, rien ni personne ne les y fera renoncer –


Je me souviens du son de mon prénom

quand tu t’amusais à le prononcer

en passant le plat de ta main sur mon visage

la façon dont tu disais ce mot seul

faisait un poème dans le sourire de tes yeux


Je me souviens

T’en souviens-tu

Ezili-Karata ?





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