Mon ami, le soir tombe sur Sao Paulo. Il est samedi soir et les rues sont animées dans cette ville-monde où le silence s'achète quelque part.
Je lis ta dernière lettre de Paris et t'imagine en Dom Juan maladroit, tressé de frais, ou en Rodrigue perdu, assis sur les marches d´un perron dans une rue parisienne. Une rue d ´un nom que j´ai dû connaître mais que j'ai oublié. La fille convoitée est partie par le dernier métro. Tous les cafés sont fermés sauf les plus chers. On se sent vite chien errant dans ces rues. Sans tragédie.
Mon ami, la mort t'accompagne dans ses nouvelles et je ne suis pas avec toi pour arroser la terre d'un peu de rhum. Nous aurons bien de la peine et de la joie à mon retour.
Ici la vie bresilienne fait écho à tes tourmentes. La police a tué seize persones en représailles du meurtre dún policier, à Guaraja, une ville au sud de l´´etat. C'est un scandale qui s'etale partout en première page de la Folha de Sao Paulo, ce 3 aout 2023. Les troupes délite de la police militaire sont entrées dans le barrio, ont tué un homme chez lui et ont fini les quinze autres dans une course poursuite qui ressemble dans ma tête á une chasse á courre ou á un charnier. Quelle loi humaine donne à la vie dún seul la valeur de seize autres? Ne me réponds pas, mon ami. Je connais le discours de la guerre. Toujours des histoires de poings et de chiens de garde. Identiques en esprit à celles de France que je lis dans Le Monde ou le Canard Enchaîné, bien que moins démesurées. Il y a dans les journaux cet été comme une ronde mondiale de la haine des pauvres et de la violence, à laquelle tous les poètes que j'ai rencontré le mois dernier voudraient substituer une longue chanson ininterrompue de beauté et d'espoir. Les poètes sont d'etranges créatures. Rares et solides malgré tout. Ne crains pas trop le vent mon ami. Il ne te fera pas tomber. Ici l'amour se porte bien. Il sait se nicher dans les petits détails. Il tapisse l'architecture raffinée et fortclose de mes habitudes. C est une respiration de ma lettre. Je n´ai pas à attendre le petit matin. Mon ami, je t'écris cette lettre assise dans le cadre d'une fenêtre.
Juste en face de moi, de l'autre côté de la rue, j'observe le cadre d'une autre fenêtre, celle d'un appartement aménagé en échoppe de barbier. Le coiffeur et moi échangeons des regards curieux depuis un moment, comme essayant de comprendre ce que nous faisons lún et láutre. Lui à raser avec précaution le col d'un autre jeune homme, moi à t'écrire cette lettre. Je vais t´abandonner lá. Et attendre ta réponse. Le soir tombe, mon ami, sur Sao Paulo, et je n'ai encore ni rit ni pleuré aujourd'hui.
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