Mon amie.
Je t’avais promis de te conter Paris. Tu voulais savoir si cette ville reste encore une fête au sens d’Hemingway. Je t’écris à l’instant même où il vient de m’arriver malheur. J’ai toujours eu l’urgence de te parler quand il pleut en moi l’angoisse de vivre. Car tu es l’évidence même du partage et de la main tendue. Le malheur a sa propre façon d’exiger poésie. J’aime particulièrement les poèmes qui chantent douleur, alors que je suis une personne horriblement joyeuse. J’ai une aversion pour tout ce qui m’éloigne de mon enfance. Et ça, tu le sais mieux que quiconque. Tu m’as raconté tantôt le bonheur du festival de poésie en Colombie, dans la ville du fameux Escobar. Et aussi comment tu t’es retrouvée coincée dans une histoire digne d’un film, au pays de l’immense Chavez. Et moi ? Je cherche la plus belle façon de te dire que Paris est belle. Mais cette ville a une triste façon de me rappeler Port au Prince.
J’hésite encore à me livrer entièrement à toi ici. Il y a des choses que je ne peux te dire qu’en privé. Tu sais, je refuse de me rendre à la tour Eiffel, depuis que j’ai appris d’où venait l’argent de sa construction. Je te connais. Je sais que tu comprendras ce que veut dire dette de l’indépendance pour l’haïtien que je suis.
Je me promène dans cette ville avec ma tête pleine de mon enfance. Il faut que j’aille faire pipi dans la seine et regarder couler dessus le pont Mirabeau. Quand j’étais petit, j’ai voulu à tout prix connaitre Provence, pour Daudet et Marcel Pagnol. Je me suis nourri du Petit chose jusqu’au Château de ma mère. Dieu seul sait combien j’aime ma mère. Elle m’appelle en ce moment et je ne décroche pas. J’ai toujours cette peur de lui raconter malheur. Elle allait me gronder et demander à mon père d’aller vérifier chez tu sais qui…… les causes de mes malheurs. Rien n’est plus mère qu’une mère haïtienne.
Paris est belle mon amie, puisque tu y es née et tu y as grandi.
Quand je reviendrai de France, et toi de mon Brésil d’amour, nous irons dire la vie sur la Place des Palmistes. Tu seras obligée de m’expliquer comment fuir une ville où les chauffeurs de taxi sont si bien vêtus ? Oh! les chauffeurs de taxis à Paris, quelle splendeur !
Mon amie Daphou était venue me chercher à l’aéroport accompagnée de son mari. Nous nous sommes mis tout de suite à raconter des potins sur les gens de Cayenne. Avec l’ami Kader qui m’a reçu chez lui, nos propos vont plutôt sur l’amour et son coté obscur. J’aime parler d’amour avec celui-là, il est toujours dans les limbes.
Paris est belle mon amie.
Je ressasse dans ma mémoire tout ce que j’ai appris sur cette ville. Et je t’ai volé cette anthologie regroupant tous les beaux textes sur Paris, du dieu Hemingway à l’immortel Dany, placée du côté gauche de ta bibliothèque. Tu sais très bien que je ne m’intéresse qu’au côté gauche de la beauté. Tu aurais dû le cacher à droite, mon cœur l’aurait évité. Je n’ai pas compris comment faire un livre sur Paris sans un texte de Jean Claude Charles. Et pour me venger de cette injustice, j’écris sur ma première photo à la gare st Lazare : Ferdinand, je suis à Paris.
Mon amie, tu m’as prescrit Paris comme Prévert et tant d’autres avant toi. Jean Cajou aussi m’a envoyé sa liste. Ma benjamine de sœur, que j’appelle par amour Ti kk de moi, m’a exigé une photo de la tour Eiffel. Mais toi, mon amie je t’en veux profondément. Pourquoi ne m’as-tu pas appris que dans cette ville, il ne fait nuit qu’après 22 heures en juillet ? J’en ai été choqué jusqu’à me faire voler mon porte feuille, dans une épicerie à Chelles.
Mon amie, Paris est belle, mon amie !
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