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Photo du rédacteurCretté Alexandra

Lettre à ton ombre phœnix - de Sandie Colas



Tandis que le monde dormait, je sirotais de la poésie en bouteille. Seule, sur le balcon, un verre à la main, une Alexandra dans l’autre, je me laissais captiver “par le regard de ces autres mal-nés “. Ces mots cymbales résonnent encore “pas de chance pour les milles souvenirs qui m’habitent.... je bois trop pour les éteindre à coups de pioche...car je ne saurai tout supporter dans l’ardeur de la vérité”


Vingt et un jours se sont écoulés. L’appartement d’à côté demeure vide. Il me manque, cet homme solitaire, ce voisin de l’instant. Chaque soir, 22 h 30, il surgissait sur son balcon. D’un geste de la main, il me saluait, un sourire immense accroché à ses lèvres. Aucun mot échangé. Aucune ombre croisée à la lumière du jour. Mais nos regards, la nuit, tissaient des ponts silencieux, des promesses jamais prononcées qui s’effilochaient au vent calme.


Puis, cette nuit-là sous un ciel fendu par l’éclair et les larmes du tonnerre, je vous ai aperçue. Silhouette féminine vêtue de noir, vous faisiez corps avec la nuit. Derrière vous, une ombre masculine, imposante. Votre compagnon, ai-je deviné. Votre arrivée m’a enchantée : des nouveaux voisins ! Une vie à deviner. Les murs ont des oreilles, dit-on, et moi, je dis que la nuit a des yeux.

Les jours passaient, et vous restiez ce mystère nocturne, sortant seulement à l’heure où les chauves-souris dansent. Foulard noir, lunettes noires, robe noire, rouge à lèvres noir : Portiez-vous le deuil ? Ou était-ce les ténèbres que vous drapiez sur vos épaules ?


Un soir étoilé, dans une file bondée, pour voir "Débrouya", ce film qui murmure les douleurs du social, de l’exil. Quand soudain mes yeux s’égarèrent : voyant votre compagnon, enlacé dans les bras d’une autre femme, j’ai compris que vous n’étiez pas légitime. Vous étiez la femme d’après. L’ombre qui emplit les silences, mains qui frôlent sans posséder. L’histoire griffonnée sur une carte postale, vouée à vieillir, oubliée sur la porte froide d’un réfrigérateur.


Dans l’obscurité de ces heures secrètes, il rentrait, ivre comme une barrique, je vous voyais refuser ces gestes imposés. Vous n’étiez pas seulement la femme d’après. Vous étiez la proie, la « chienne ». Pas celle à quatre pattes, muselée, mais celle qu’Émile Boutelier a dépeint:« Ton visage était dur comme le ciel de Guyane, toujours prêt à mordre ou à pleurer ; C’est toi qui boisais de ton ombre les aisselles puantes de Cayenne et des rêves ; La nostalgie te butinait l’iris comme un papillon cendre, tes cils, des toboggans noirs où glissaient des étoiles ; Tu avais dans la voix un je-ne-sais-quoi d’attrape-rêve qui frappe le cœur de qui sait le saisir. »


Cette nuit encore, je veillais, espionne involontaire des drames murmurés. Il est rentré furieux comme un ouragan. Les murs ont tremblé, les verres se sont brisés. Il vous a frappée. Ses insultes crachées comme des lames vous ont lacérées. Mais vous n’avez pas crié, vous n’en aviez pas le droit. Vous êtes restée là, allongée dans votre propre sang, avec pour seul témoin une nuit trop lourde pour porter vos douleurs.


Je vous écris pour qu’un souffle nouveau traverse vos ténèbres. Le vent ne porte pas que des murmures oubliés ; il transporte aussi des promesses. Ces étoiles qui s’accrochent au ciel, même dans l’obscurité la plus dense, vous rappellent que la lumière existe toujours, même si elle vacille.

Ne laissez pas vos douleurs se confondent avec la nuit. Chaque cicatrice sur votre peau, chaque larme volée par l’ombre est une constellation en devenir. Vous êtes plus qu’un silence ; vous êtes une histoire, un cri, une renaissance qui attend son heure.


Un jour viendra, femme de l’ombre, où vous dénouerez ce foulard noir et laisserez vos cheveux danser sous le vent. Où vos lèvres, noircies par l’effacement, reprendront leur couleur et leur droit au sourire. Ce jour-là, votre voix, que l’on a muselée, éclatera comme une aube nouvelle : forte, indomptable, inoubliable.


Et si ce soir votre souffle est faible, si vos forces vacillent, sachez que je veille, ma main est là, tendue à travers les balcons de la nuit, pour vous. Femme de l’ombre, souvenez-vous : même les étoiles mortes brillent encore des millénaires. Vous êtes une lumière en devenir. Un éclat capable de fendre le noir.


Levez-vous. La nuit elle-même finira par s’incliner devant vous.


















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