J'entre en toi négresse, comme ce matin-là, pour avoir oublié les raisons de mes guerres, j'entrais dans la ville qui se réveillait, souveraine. Désertée par Monsieur le gouverneur et par Monsieur le curé, souveraine et tambourinant sur ma route. N'avais-je pas fière allure sur mon cheval noir ? La ville qui s'écoulait des mornes vers la mer, souveraine, promettant à ces entrailles fécondes, d'autres joies et d'autres misères, neuves comme un sou neuf gagné au coin d'une table. J'entre en toi négresse comme j'entre dans ma vie.
(mais le prince charmant sait aussi rêver pour lui-même)
Les seules œuvres qui méritent d'être entreprises sont celles où la vie cohabite avec la mort. Le seul espoir qui me reste est d'inventer ma vie et ma mort à la face de mon peuple comme un explorateur de passage, un roi pour rire en quelque sorte, ou alors un illuminé qui se prend pour un sauveur. Je leur ai apporté une certaine douceur de vivre, je les ai sortis de la fournaise, ou alors ce sont peut-être eux qui m'ont fait jouer un rôle. J'ai voulu régner sans gouverner, mais qu'est-ce qui règne en moi ? Mon cœur, ma tête, mon corps inassouvi au milieu de tant de femmes qui m'aiment et qui ne veulent pas de moi ? Je suis seul. Le désir pour une femme et le désir de cette île est le même. J'ai été fait par les femmes et les dieux, quitté par eux et me voici devant mon peuple d'hommes, aussi seuls que moi, avec rien à leur dire comme seule perspective. Je suis seul. Je n'ai plus rien à espérer. Mon passé qui me protège, s'est enfui avec mon rêve, dans les mornes. Il est retourné à la case départ d'une certaine manière. Mon avenir est parti lui aussi, tout à l'heure. Mon rêve est parti. Je suis désormais un homme qui ne rêve pas. Les portes se sont fermées derrière moi, devant moi. Il ne me reste pour vivre que moi. Ce n'est peut-être pas plus mal. Au cœur d'une brume tremblante je marcherais, je recommencerais les gestes essentiels qui mènent à l'action. Je recommencerais une vie de questions et de recherche sans que rien apparemment n'ai changé. Je cheminerais seul avec tout l'apparat de la souveraineté, mais je sais que ma gorge restera sèche et mes désirs communs. Je reviendrais vers toi, ramené comme une épave sur la plage.
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